Article publié le 25 mars 2022 par Guery Corentin.
Synopsis : France, professeure de sport le jour, ouvrière la nuit, milite activement contre l’usage des pesticides. Patrick, obscur et solitaire avocat parisien, est spécialiste en droit environnemental. Mathias, lobbyiste brillant et homme pressé, a défendu les intérêts d’un géant de l’agrochimie. Suite à l’acte radical d’une anonyme, ces trois destins, qui n’auraient jamais dû se croiser, vont se bousculer, s’entrechoquer et s’embrasser.
Un film engagé…
Goliath s’inscrit dans la lignée des long-métrages engagés à la Don’t look up qui a fait un tabac sur la plateforme Netflix en fin d’année 2021. Cette fois, pas d’astéroïde en métaphore du Global Warming, mais un pesticide cancérigène : la « Tétrazine » du groupe « Phytosanis » qui n’est pas sans rappeler le scandale sanitaire de Monsanto avec le Roundup, herbicide soi-disant inoffensif. D’ailleurs, le parallèle est explicitement souhaité et énoncé au début du film.
Ce thriller environnemental est un véritable retentissement en France à l’heure où le maintien du glyphosate dans l’agriculture est devenu une question socialement vive. En effet, les enjeux sont environnementaux, sanitaires, sociaux et économiques. Le débat trouve sa place dans les sphères politique, scientifique et publique, il est retransmis dans les médias mais passe aussi par d’autres vecteurs tels que l’éducation et la culture. Preuve en est avec Goliath qui n’a pas fini de défrayer la chronique.
Frédéric Tellier a pour l’occasion réuni un casting hors pair. Les 3 principaux protagonistes ne sont autres qu’Emmanuelle Bercot interprétant France, une professeure d’EPS le jour, ouvrière la nuit et mère de famille à temps plein, qui vit à la campagne près des épandages de pesticides ; Gilles Lellouche qui incarne Patrick, un avocat pugnace spécialisé en droit environnemental et Pierre Niney dans le rôle de Mathias, chargé de communication lobbyiste pour Phytosanis.
… et d’utilité publique.
Goliath intervient dans un contexte de revirement sanitaire : l’interdiction du glyphosate, prévue initialement en France en 2019 est sans cesse repoussée, la pression des lobbies des industries agroalimentaires et agrochimiques en est la cause, ce qui est très bien retranscrit dans le film. Pierre Niney, bien que peu habitué au rôle du personnage détestable, nous livre le parfait portrait du lobbyiste à la fois charismatique et hautain, brillant et perfide, maniant la rhétorique à la perfection. Le dosage est subtil et réussi, Mathias se révèle être un directeur de communication redoutable et très convaincant ! Le spectateur découvre alors avec effroi la présence malfaisante des lobbies dans toutes les strates du pouvoir ainsi que leur grande influence politico-médiatique. Ce film pose également la question de la corruption et des conflits d’intérêts. Ainsi, un scientifique se retrouve parachuté au journal télévisé à déballer un discours vide de sens et dénué de preuves scientifiques afin de convaincre l’opinion publique de la nécessité d’utiliser des pesticides dans l’agriculture.
Sensibiliser le spectateur à la cause environnementale
La question d’une justice rendue aux victimes et à leurs proches, ainsi que de l’interdiction du pesticide est laissée en suspens par Emmanuelle Bercot dans la dernière scène poignante du film. Le personnage, amaigrie par sa grève de la faim, interpelle à la barre la justice française puis son regard glisse imperceptiblement vers le spectateur. C’est un regard cinglant, épris d’un mélange de lassitude, de tristesse et de colère qui interpelle directement le public. Grâce à l’exceptionnel jeu d’actrice d’Emmanuelle Bercot, chacun se sent tout à coup concerné par la cause environnementale, devenue affaire de santé publique. France, l’activiste écologiste et mère de famille nous regarde intensément, on entend presque le sermon de Frédéric Tellier et de l’actrice : « Vous avez vu. Et maintenant, vous engagerez-vous pour les victimes des pesticides et pour l’avenir de nos enfants ? ».
Une personnification du lobby agrochimique
Le nom du film peut orienter le spectateur vers une issue favorable pour les citoyens de demain, Goliath, le géant biblique s’est bien fait terrasser par David, non ? Nous retrouvons dans ce film, un style « méchant vs gentils » à l’américaine, qui peut parfois manquer de finesse dans les intentions et sentiments des personnages. L’incarnation du mal, de Goliath, dans ce film est claire : il s’agit de Phytosanis et du lobby agrochimique, porté par la figure de l’impitoyable Mathias. L’incarnation du bien est plus délicate pour certains personnages. L’épouse du directeur lobbyiste, enceinte, est un personnage qui ne partage pas ses opinions dans le film et c’est dommage. Nous aurions apprécié une discussion entre les deux personnages, ce qui aurait apporté au film un positionnement intéressant quant aux relations conflictuelles au sein de la famille quand l’éthique et les valeurs morales entrent en jeu. Goliath n’est pas infaillible, le lobbyiste de Phytosanis, responsable en partie de l’ascension professionnelle de Mathias, est un personnage empli de doutes, désabusé et finalement rattrapé par sa conscience.
Le camp de la force citoyenne, le camp de la raison
Les citoyens sont en proie du géant Goliath, même l’agriculteur qui refuse de changer son mode de production intensif. Néanmoins, nous aurions apprécié un monde agricole plus nuancé, des syndicats agricoles, des pro-intrants, des anti-pesticides, etc. L’union citoyenne et les mouvements de contestation sont très aboutis et se rapprochent de la réalité. Le dialogue entre les citoyens, acteurs locaux et scientifiques, notamment Vanec (Jacques Perrin), est d’une grande richesse et précision. L’action citoyenne stagnante et la difficile prise de position du scientifique Vanec reflètent tristement la réalité.
L’avocat incarné par Gilles Lellouche a choisi le camp des « bienfaiteurs » par conscience professionnelle. L’acteur nous dévoile un personnage combatif et incorruptible, déterminé à gagner la bataille judiciaire malgré l’appât du gain et les menaces de Phytosanis. Gilles Lellouche crève l’écran ! Il n’a pas spécialement besoin du dialogue pour faire passer les émotions de son personnage. Les moments de doutes et les questionnements de l’avocat pragmatique sont admirablement retranscrits.
La faiblesse du discours politique révélée
On se demande parfois si le manque d’arguments et de solutions des politiques face au défi d’une agriculture saine, efficace et durable est souhaité par Frédéric Tellier. Si tel est le cas, les ministres apparaissent bien démunis face aux lobbies et peu au fait des nouvelles dynamiques du monde agricole. Dans un sens, cela permet au spectateur de se questionner sur la pression grandissante des lobbies dans notre société, la marge de manœuvre des dirigeants politiques ainsi que sur les méthodes d’information et de désinformation médiatique. Des questionnements tout à fait légitimes à la veille des élections présidentielles qui nous font étrangement penser à la gestion de la crise sanitaire, aux conflits d’intérêts et à l’influence exponentielle des cabinets de conseil. Le cas échéant, il aurait été intéressant d’apporter des solutions, ou du moins un raisonnement à la problématique « comment nourrir 68 millions de Français ? ». Des éléments de réponse comme la mise en valeur des filières d’enseignement agricole, ou encore la transition verte et le développement des fermes en permaculture sont connus. Cette nuance aurait pu prendre place dans la scène du débat politique, via une prise de parole du ministre de l’agriculture. Ces informations auraient sans aucun doute éclairé le spectateur. C’est dommage car certains risquent de sortir de la salle noire avec l’idée en tête que les pesticides sont cancérigènes mais nécessaires pour nourrir l’humanité.
En plus, Goliath sort au moment du salon de l’agriculture, le ministère s’est-il seulement éparpillé dans les régions viticoles ?!
Goliath est un chef d’œuvre cinématographique. C’est un film rempli d’humanité qui traite des sentiments les plus sombres à ceux des plus nobles. Mais c’est avant tout un film militant empreint de vérités qui dénonce le musellement politico-médiatique exercé par les lobbies et l’inaction générale face à l’urgence environnementale et climatique. C’est un film qui interroge, qui donne le goût de l’engagement, il est fait pour déranger et c’est ce qu’on aime dans le 7ème art !
CLAIRE CARLIER