Rien à foutre : une claque tournée vers le ciel

Rien à foutre : une claque tournée vers le ciel

Article publié le 19 mars 2022 par Guery Corentin.

Synopsis : Cassandre, 26 ans, est hôtesse de l’air dans une compagnie low-cost. Vivant au jour le jour, elle enchaîne les vols et les fêtes sans lendemain, fidèle à son pseudo Tinder «Carpe Diem». Une existence sans attaches, en forme de fuite en avant, qui la comble en apparence. Alors que la pression de sa compagnie redouble, Cassandre finit par perdre pied. Saura-t-elle affronter les douleurs enfouies et revenir vers ceux qu’elle a laissés au sol ?


Deux heures. C’est le temps qu’il faut pour que la magie du cinéma nous transporte, nous élève et nous grandisse. Rien à foutre constitue l’une de ces œuvres qui rendent l’existence des salles obscures impérative et primordiale. L’exactitude du propos est servie par la sincérité des images, prises sur le vif, comme arrachées au réel.

Adèle Exarchopoulos son meilleur role depuis la vie d’Adèle ? 

Ainsi, Emmanuel Marre et Julie Lecoustre réalisent l’exploit d’un film honnête, réaliste et social sans niaiserie moralisatrice; leur poésie soutient le jeu des acteurs et des professionnels au profit d’un portrait générationnel complexe à la fois enivrant et alarmant. Ce portrait est incarné avec une grande justesse par Adèle Exarchopoulos. L’actrice porte le film : elle le rend crédible, humain et solaire. En effet, elle a travaillé le rôle en suivant une formation d’hôtesse de l’air. Le film est tourné en situation réelle de vol. C’est pourquoi les plans sont faits “à l’arrache” mais sont si réussis.

La jonction entre le réel et la fiction fonctionne très bien. En outre, le film recouvre plusieurs strates de lectures, et l’on peut lire une mise en abîme du jeu d’actrice et en général des mondes de l’image et de la mise en scène de soi. Les hôtesses de l’air, comme les actrices, ne travaillent pas en même temps que le reste des salariés, elles sont mobiles, elles sont soumises à de fortes pressions et doivent, face à cela, sourire, et renvoyer une image lissée, polie, en toutes circonstances. A cela s’ajoute l’esquisse d’une jeunesse consumériste et se voulant sans attache, fuyante.

Une realisation accomplie

La seconde partie du film nuance cette aspiration en ré-ancrant le personnage de Cassandre dans sa famille, sa maison, sa ville natale, auprès de son père, le producteur Alexandre Perrier et de sa sœur, la brillante Mara Taquin. Ce renversement permet de ne pas juger Cassandre trop hâtivement, et de mesurer l’épaisseur de son personnage. Le propos concerne toutefois l’uniformisation du monde,notion qui traverse les travaux des co-réalisateurs depuis La Vie qui va avec ou D’un château l’autre.

L’intelligence de leur réalisation naît de leur capacité à capter des images d’intimité au sein d’un décors industriel, impersonnel ou commercial. Ainsi l’on capte la matérialité des personnages et de leur activité (roulettes des valises, maquillage, sexualité) par le truchement d’un cadrage-image captivant, expérimental et novateur. Un extraordinaire premier long.

Conclusion : Cette histoire permet à Adèle Exarchopoulos de prouver une nouvelle fois tout son talent. filmé comme un saut dans le vide, l’atterrissage de Rien à foutre est tout à fait réussi.

NOTE : 4/5 ★★★★★ 

LUCIE MARIANI