Article publié le 19 février 2022 par Full-Time Cinéma.
Synopsis : Octobre 2015. Les douanes françaises saisissent sept tonnes de cannabis en plein cœur de la capitale. Le jour même, un ancien infiltré des stups, Hubert Antoine, contacte Stéphane Vilner, jeune journaliste à Libération. Il prétend pouvoir démontrer l’existence d’un trafic d’État dirigé par Jacques Billard, un haut gradé de la police française. D’abord méfiant, Stéphane finit par plonger dans une enquête qui le mènera jusqu’aux recoins les plus sombres de la République.
Après Une vie violente (2017), le réalisateur Thierry de Peretti revient avec force et audace pour son long-métrage Enquête sur un scandale d’Etat (2022). Librement inspiré de L’Infiltré, essai publié en 2017 par Emmanuel Fansten (journaliste à Libération) et Hubert Avoine (ancien infiltré pour l’Office Français de Répression des Stupéfiants), cette fiction est haletante, précise et documentée. Thierry de Peretti décortique le système de négation de l’Etat de droit dans le cadre de la lutte antidrogue. Il pose sur les acteurs un regard humain et juste et laisse au spectateur le loisir de se forger une opinion sur l’affaire. Merveilleusement bien incarnés, le journaliste et l’infiltré mènent ensemble une enquête « impossible » sur une affaire qui a tout l’air d’un « scandale d’Etat ».
Un casting extraordinaire
En effet, Pio Marmaï (La Fracture) est une fois de plus très honnête : son jeu est franc et sa légère fascination pour Hubert Avoine est à la hauteur des enjeux du film. Roschdy Zem (Roubaix une lumière) quant à lui est séduisant sans pour autant nous faire perdre tout esprit critique à l’égard des faits dont il accuse l’Office des stups : il laisse planer des doutes par ses regards touchants et la sobriété de son jeu, sans fioriture et avec une immense justesse. La présence d’un casting par ailleurs extraordinaire participe de la grande qualité du récit : on regrette de ne voir qu’une seule scène avec Valéria Bruni-Tedeschi, les plaidoyers de Vincent Lindon et Julie Moulier sont excellents, le talentueux Sofian Khammes interprète un journaliste-TV, etc.
Les trois premières scènes du film donnent le ton et captent toute l’attention des spectateur.trice.s : un homme anxieux dans une grande maison vide ; un camion de cannabis aux mains des douaniers; une réunion à Libération dont la disposition fait penser aux arènes antiques. En effet, tout le film fait peser sur les acteurs une frustration propre aux enquêtes et une tension propre aux relations de pouvoir. La complexité du propos pourrait nuire au film mais au contraire elle en fait un espace où le discours est un enjeu. Certes, les faits dont sont accusés l’Etat ne sont jamais vraiment mis en scène dans le film, mais on les devine aisément. Ce qui compte c’est l’enquête, l’histoire, le récit. Les faits du passé ne peuvent jamais être restitués parfaitement et l’on remarque que le travail d’enquête est laborieux, soumis aux forces et faiblesses d’êtres humains dont les discours s’opposent sans se recouper.
Une mise en scène impeccable
La mise en scène de la recherche met le spectateur dans une position ambigüe, originale et stimulante. Nous scrutons et tendons l’oreille, concernés par l’histoire, touchés par les formes que prennent les corps des personnages. L’infiltré est humble mais amer : il s’agit d’un traître auquel le journaliste doit faire confiance. La proximité entre les deux est un jeu de miroir, simulacre d’amitié mais véritable relation de confiance face à une vérité qui ne cesse de se dérober. Le réalisateur fait le pari de rendre compte d’un travail d’enquête complexe et inabouti : c’est en ce sens que le film est une réussite.